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« Un bel espace est une promesse du bonheur »  Fanny CÉRÈSE

GÉROSCOPIE supplément n°133 Nov 2021

Comment décririez-vous les effets d’un aménagement architectural domestique ?

Nos travaux de recherche ont d’abord mis en lumière l’impact positif sur l’appropriation des lieux. Réaménager un espace «comme à la maison » accroit sa fréquentation et a donc des effets sur la qualité des relations interpersonnelles. Les familles prennent plaisir à s’y installer et viennent davantage accompagnées de jeunes enfants. Mais au-delà du décor, il est essentiel de repenser le rôle social de l’établissement.

Les résidents doivent par exemple pouvoir offrir du thé ou du café, reprendre un rôle social et regagner du pouvoir d’agir. Le changement de regard sur l’établissement a aussi été majeur. 

Une résidente nous a confié: «Je n’ai plus l’impression d’entrer dans un mouroir ?». 

J’ajoute que nous avons beaucoup réfléchi sur la notion de beauté en nous inspirant des travaux d’Alain de Botton qui affirme que qualifier de belle une oeuvre architecturale, c’est reconnaître en elle la possibilité de notre épanouissement personnel. La beauté serait une promesse du bonheur en somme. 

Kevin Charras, docteur en psychologie environnementale, qui a plus spécifiquement travaillé sur le réaménagement domestique des unités protégées, a également démontré un impact sur la qualité de vie au travail. Les professionnels repèrent plus facilement les capacités des résidents, bien que ce changement puisse aussi les mettre mal à l’aise. En effet, lors de projets de réaménagement, certains professionnels m’ont demandé : « Dans des lieux domestiques, que devenons-nous ? Des domestiques ?». L’idée d’adopter une tenue civile leur pose aussi question car le fait que l’Ehpad ressemble aujourd’hui davantage à un hôpital qu’à un domicile les conforte dans la reconnaissance de leur qualité de soignants. 

Quel est le coût d’une réhabilitation domestique ? 

Il n’est pas plus élevé que celui d’une réhabilitation «sanitaire ». Le mobilier domestique est même moins cher que ce qui est proposé aux collectivités mais la démarche impose d’acheter différemment: individualiser la décoration va prendre davantage de temps que commander soixante chaises identiques. 

Quant à la reconstruction, il faut absolument éviter de reproduire le schéma qui consiste à connecter les fonctions centralisées (cuisine, buanderie…) aux chambres par d’immenses couloirs. Car en agissant ainsi, l’institution fabrique inévitablement de la dépendance. Une personne qui se déplace en déambulateur lors de son entrée en Ehpad se retrouvera vite dans un fauteuil roulant si on lui octroie une chambre au troisième étage à 250 mètres de la salle à manger… Le manque de temps pour l’accompagnement, le fait de faire à la place des personnes âgées les repas, le nettoyage du linge. leur font rapidement perdre leur autonomie. 

Aux Pays-Bas, des établissements accueillent jusqu’à 170 habitants dans des maisonnées conçues pour huit personnes où l’ensemble des aspects de la vie quotidienne est géré (préparation des repas, etc.). 

Faire mieux ne signifie pas forcément «faire plus» mais «faire autrement ». Cela demande en revanche du temps pour l’étude, la recherche et la réflexion. On ne peut pas repenser le cadre bâti sans faire évoluer les pratiques et les modalités d’accompagnement. Le projet architectural doit être le support du projet d’établissement et les deux doivent être co-construits en associant étroitement les personnes concernées afin de sortir des stéréotypes.